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PHILIPPE LACOUE-LABARTHE
JEAN-LUC NANCY
scène

P. Lacoue-Labarthe : Comment le dire ? Il faut une sobriété impeccable, irréprochable - on disait il y a trente ans : rigoureuse -, dans la philosophie comme ailleurs. Ce n'est (surtout) pas une leçon de morale - comment pourrais-je en donner ? Mais il y a de la véhémence, je ne le cache pas. Tu n'as pas relevé ce point la dernière fois : mais notre tâche, j'en suis persuadé, est d'être résolument athées, jusque - ou d'abord - dans notre écriture, c'est-à-dire notre manière de dire.)


PHILIPPE LACOUE-LABARTHE
La poésie comme expérience

Un poème n'a rien à raconter, ni rien à dire : ce qu'il raconte et dit est ce à quoi il s'arrache comme poème.

 

L'acte poétique consiste à percevoir, non à représenter


PHILIPPE LACOUE-LABARTHE
Le chant des muses

Dans la mythologie des anciens Grecs, les Muses, toutes filles de Mnémosyne (la Mémoire) étaient indissociablement les déesses de la musique et de la poésie, les deux arts du son. On dit qu'elles inspiraient les hommes et qu'elles tentaient de leur faire reproduire la voix qu'ils avaient entendue, avant de naître, dans le sein maternel, et dont, en naissant, ils avaient perdu toute mémoire. Peut-être alors - telle était au fond l'hypothèse - la musique serait-elle le plus archaïque de tous les arts, le plus émouvant aussi, celui par lequel on chercherait à réentendre, comme en écho, cette voix antérieure, à jamais disparue, oubliée, vouée au silence.

 

JEAN-MICHEL LE BOULANGER
être breton?

""Marc Augé: Ce qui fait l'identité et le territoire, c'est toujours le langage"...
Et Augé de citer l'idée du philosophe Vincent Descombes : un espace se définit par le partage d'un langage (qui n'est pas forcément une langue), où l'on se comprend à demi-mot, où l'on peut avoir une complicité de gestes et d'allusions. "Les espaces où cette compréhension peut se traduire, même à mots couverts, constituent peut-être ce qu'on pourrait appeler un "territoire".
Un territoire, c'est du commun partagé . Un sens partagé.Des potins aussi, et un imaginaire."" Jean-Yves Le Drian

"Un des problèmes majeurs de la démocratie française n'est-il pas cette conception fermée d'une identité à racine unique, close sur des certitudes, nourrie par deux siècles de dogmatisme et parfois d'arrogance?"

HENRI LEFEBVRE
Le sens de la marche
Critique de la vie quotidienne

Compromise et même ébranlée, l'identité nationale, un peu partout, se cherche et cherche à se maintenir. Les secousses amènent de véritables paniques. Le vague de ces termes - pertes d'identité, recherche de l'identité - à toutes les échelles, de l'individu au continent, serait-il dû au hasard? Non, il a un sens. La francité, où se trouve-t-elle? Le nationalisme, dont le retour en force se fait menaçant, serait-il la reconquête de l'identité perdue, ou sa simulation idéologique? Quoiqu'il advienne, le maintien de l'identité signifie l'us et l'abus des commémorations, le retour de l'historique comme référentiel, la pression sur le quotidien pour l'empêcher de se « déstabiliser » et le garder dans l'identitaire. Ce qui implique ainsi une tendance à la reproduction dans l'identité des rapports de domination - non sans obscurcissements et doutes. Toutefois il faut distinguer dans l'identité nationale le réel et l'idéologie : le marché intérieur et la culture dite nationale (par exemple en France le rationalisme traditionnel, dont le caractère national s'estompe au cours de la crise; d'autant qu'il se rattache au logos européen et occidental, lui-même en crise). Cette identité fonctionne dans le sens du non-devenir, autrement dit dans le sens du conservatisme.

Elle fortifie les résistances au changement, alors que par ailleurs et simultanément on proclame l'urgence du changement pour rénover la vie nationale. N'est-il pas étrange qu'à propos de coins arriérés, de villages reculés, de bourgades figées dans l'archaïsme, on parle si souvent de la « France profonde »? Cette francité serait obsolète, désuète; cependant on la valorise à la télévision, dans le journalisme. Ne dissimule-t-on pas ainsi sous des idéologies manipulatrices quelques dures vérités? La France superficielle peut se caractériser ainsi : idéologies avancées - structures arriérées, incroyablement difficiles à mettre en mouvement (corps et ordres constitués, institutions figées, etc.). Quant à la France dite profonde elle se caractérise par des idéologies aussi arriérées que les structures.

HENRI LEFEBVRE.
Nietzsche

"Nietzsche a annoncé la nouvelle barbarie, issue de cette décadence bourgeoise et chrétienne, barbarie qu'il faudrait à tout prix éviter si cela était possible.Il a pressenti le bilan, du point de vue spirituel, de la dernière étape de la société bourgeoise; l'impérialisme sous lequel tout se dissout, culture et organisation de la communauté humaine, et où seule la violence apparaît comme une réalité déterminée."
(1937-1938)

Collectif, coordonné par THIERRY LENAIN
L'image
Deleuze, Foucault, Lyotard

"C'est pourquoi, en face des grands monochromes du peintre américain, (Bernett Newman) j'entre en résonnance avec l'être, autre façon de dire que je m'écoute à travers sa revendication : je ne suis qu'une oreille ouverte au son qui lui arrive du silence, le tableau est ce son, un accord."
Jean-François Lyotard

JULES LEQUIER
La Fourche et la quenouille

Il y avait une fois, dans le pays de Quintin, en Bretagne, un fermier et sa femme qui demeuraient dans une grande et riche métairie. Tout leur avait réussi : ils possédaient des clos et des prés, ils étaient honorés par leurs voisins et par la grâce du ciel, ils avaient sept garçons dont chacun se trouvait doté d'un genre de beauté particulière. Il est vrai que le plus jeune était petit et bossu, et quand il partait pour les champs avec ses frères, sa tournure aurait déridé les passants, mais la beauté de son visage était merveilleuse. Comme il avait beaucoup d'orgueil c'était lui qu'on envoyait à la ville pour les affaires délicates, et si les jeunes filles de Quintin montraient son dos en riant, elles regardaient aussi d'un œil d'envie ses longs cheveux d'un blond cendré ; ses cheveux fins et brillants qui descendaient jusque sur sa bosse.


GOULVEN LE BRECH
Jules Lequier

"FAIRE. Non pas devenir, mais faire et en faisant SE FAIRE."

DAVID LE BRETON
Du silence

"Si la parole n'est pas libre, le silence ne l'est pas davantage. La jouissance du monde découle de la possibilité de toujours choisir. Mais le silence a toujours le dernier mot."


DAVID LE BRETON
Disparaître de soi
Une tentation contemporaine

"Les hommes, disait en substance Kant, ne sont pas faits de ces bois durs et droits dont on fait les mâts. S'il y a parfois au fil d'une vie, pour certains, une sorte de fidélité à soi-même, une cohérence, d'autres connaissent des ruptures improbables, ils deviennent méconnaissables à eux-mêmes et aux autres, plusieurs vies différentes leurs échoient. Mais chaque existence au départ, même la plus tranquille, contient un nombre infini de possibilités dont chaque instant ne cesse de redéployer les virtualités."

 

ANDRE LEROI-GOURHAN
la civilisation du renne

"Chacun pour son domaine, amasse, dans l’ignorance presque complète de l’activité des autres, les matériaux subsistants de telle culture ou de tel point de l’activité du Globe. Entre le géographe et l’ethnographe, les liens sont assez serrés, mais entre l’ethnographe, le géologue, le zoologue ou le botaniste, il n’existe à peu près aucune espèce de relations.
 Lorsque le spécialiste des questions agraires étudie la charrue, l’existence de pierres dans le sol, l’absence de bois de grandes dimensions dans le pays, la nécessité de tracer un sillon étroit pour le riz et la possibilité d’un sillon large pour le blé, la force et les aptitudes relatives du buffle, de l’âne, de la vache, du cheval ou du tracteur automobile lui importent rarement. Et, pourtant, entre le sol et la tempête, il y a les plantes et les animaux qui permettent à l’homme de vivre sur l’un et de résister à l’autre, il y a les qualités mécaniques du fer et du silex qui modèlent l’instrument, il y a les phosphates du sol qui consolident le squelette des occupants, il y a les rats, les moustiques, les chardons.
Tout geste de l’homme est une réaction contre le milieu : c’est la couverture qu’on tire pour se protéger du froid de la nuit, le fleuve qu’on détourne pour se protéger de la sécheresse, l’esprit qu’on invoque pour que les oiseaux viennent dans le piège et pour se protéger ainsi de la faim.
L’ethnographe étudie la couverture, le barrage du fleuve, le piège des oiseaux ; l’historien des religions s’empare de leur contenu spirituel, du dieu des vents, du génie des étangs ou du maître des canards sauvages ; chacun, géologue, zoologue ou botaniste prend à son compte, qui les alluvions, qui la laine ou les plumes, qui l’herbe des pâturages. Ce livre est un essai de coordination dont le caractère encore trop sommaire ne saurait échapper à la critique. On est parti du froid, du fleuve, de l’oiseau pour tenter l’explication des gestes humains. On aurait dû, pour traiter un tel thème, faire largement appel à la philosophie, à la psychologie et conclure ; mais on s’est borné, volontairement, à ne considérer que le côté purement matériel des réactions humaines pour ne pas risquer l’établissement prématuré d’un système."


ANDRE LEROI-GOURHAN
Le geste et la parole
I. Technique et langage

"On peut prouver que l'équilibre matériel, technique et économique influence directement les formes sociales et par conséquent la manière de penser, alors qu'il n'est pas possible d'ériger en loi que la pensée philosophique ou religieuse coïncide avec l'évolution matérielle des sociétés. S'il en était ainsi, la pensée de Platon ou celle de Confucius nous paraîtraient aussi curieusement désuètes que les charrues du premier millénaire avant notre ère. Or l'une et l'autre peuvent sembler inadaptées aux conditions sociales créées par l' évolution des moyens matériels, elles n'en contiennent pas moins des concepts qui nous sont accessibles dans l'actualité. L'équivalence des pensées humaines est un fait à la fois du temps et de l'espace : dans ce qui n'est pas lié au domaine des techniques et à leur contexte historique, la pensée d'un Africain ou celle d'un Gaulois sont d'une complète équivalence avec la mienne. Cela n'est pas dire qu'elles n'aient leurs particularités spécifiques mais simplement que, leur système de référence connu, les valeurs en sont transparentes. Ce fait est d'un ordre qui n'est pas transposable au monde matériel, pas plus qu'on ne peut faire état de la force expansive du cerveau dans l' évolution du crâne. Chaque domaine a ses voies de démonstration, celui du matériel dans la techno-économie et l'histoire, celui de la pensée dans la philosophie morale ou métaphysique ; si l'on est justifié de les trouver complémentaires, cette complémentarité est dans une réelle opposition."

EMMANUEL LEVINAS
Autrement qu'être

"L'ouverture de l'espace comme ouverture de soi sans monde, sans lieu, l'u-topie, le ne pas être enmuré, l'inspiration jusqu'au bout, jusqu'à l'expiration - c'est la proximité d'Autrui, qui ne se veut que comme responsabilité pour autrui, laquelle ne se peut que comme substitution à lui."

Lignes N°4. Les extrême-droites en France et en Europe (Octobre 1988)


"Glaciation
A mesure que les territoires existentiels individuels et collectifs s'effritent, balayés qu'ils sont par les nouveaux moyens de produire de la subjectivité, surgissent un peu partout des crispations de reterritorialisation. Le racisme, la xénophobie, le délire nationaliste des gens de Le Pen ne sont que la cristallisation visible de ce phénomène, le haut d'un iceberg qui gèle l'ensemble de nos sociétés.
Cette glaciation du socius est-elle irréversible ? Probablement pas. Mais seule la réinvention de pratiques sociales et esthétiques pourra y porter remède. Il s'agit de produire de la singularité subjective avec les nouvelles machines de sémiotisation et non en réaction contre elles. Reconstruire le rapport aux autres, le rapport à l'environnement, le rapport aux corps, aux sexes, au temps. Larguer les amarres du scientisme pour s'engager sans réserve sous l'égide des paradigmes éthico-esthétiques." Félix Guattari (1988)

Cité par Charles Alunni :

"N'incitez pas les mots à faire une politique de masse.
Le fond de cet océan dérisoire est paré des cristaux de notre sang."
René Char


lignes 41
ce qu'il reste de la politique

"Il va sans dire que je ne suis ni étonné ni déçu par ce qui peut sembler relever de l'inconséquence dans les propos actuels du pouvoir, car il ne peut pas en être autrement.
Ce constat me pousse à espérer que de nouvelles approches du politique puissent se faire jour par la force d'autres paroles originelles : celle des révoltes énergiques (et logiques) des travailleurs en lutte, celle de la diction attentive et amoureuse d'un instituteur penché sur un enfant qui apprend sa propre langue, celle du poète enfin : « Le monde n'est pas fini [...]/ qui va mourir/ sait que la beauté est inexorable[...] »" Hervé Carn


"Le socialisme fut, il y a un an, un moyen de prendre le pouvoir et non de changer la société. Cela posé, il faut bien se demander si le pouvoir et la politique ont un autre rapport que la manipulation de la seconde par le premier à son seul bénéfice. Conséquence : la politique ainsi dénaturée n'est plus au bout d'un an d'exercice du pouvoir socialiste qu'un déchet sans aucune commune mesure avec la réflexion sur la condition sociale dont elle se réclame. De plus, ce misérable reste empoisonne et salit tout l'espace de la citoyenneté." Bernard Noël


LIGNES 34

"Les civilisations ne sont pas essentiellement des constructions ordonnées. Ce sont des événements, des inventions, des accidents, des errances. C'est ce qu'on ne pouvait planifier, un métal, un animal, une plante, le passage d'un air jamais respiré, d'une mélodie inouïe. Cela s'est passé bien des fois dans l'histoire et cela reviendra, cela revient déjà comme passent ici ou là, dehors, dedans, entre nous, des Roms qui ne sont ni des gens, ni des hommes, ni des personnes, ni des citoyens, mais des farfadets, des jongleurs, des semi-conducteurs, des borborygmes, des escarbilles, des astéroïdes et parfois, pourquoi pas, même nous, nous tous les Gadjos."
Jean-Luc Nancy

"Le racisme d'aujourd'hui est donc d'abord une logique étatique et non une passion populaire. Et cette logique d'Etat est soutenue au premier chef non par on ne sait quels groupes sociaux arriérés mais par une bonne partie de l'élite intellectuelle." Jacques Rancière

WALTER LIPPMANN
La Cité libre

En 1933, Laski écrit que l'apparition de la Grande Dépressio révèle l'incapacité du capitalisme à assurer de façon adéquate la subsistance des travailleurs, et souligne l'existence d'une classe de privilégiés vivant à proximité des masses appauvries, spectacle intolérable pour une société dans laquelle les pauvres ont le droit de vote. Aux Etats-Unis, écrit Laski, il y a aujourd'hui "une grande désillusion démocratique, un plus grand scepticisme à l'égard des institutions populaires, qu'à n'importe quelle période de son histoire.[...] Le malaise de la démocratie capitaliste est incurable aussi longtemps qu'elle reste capitaliste, pour la simple raison que c'est contre les conditions inhérentes du capitalisme que les hommes se révoltent." Ainsi, pour Laski, soit les capitalistes seront contraints d'éliminer la démocratie, soit la démocratie fera disparaître le capitalisme.


LORAUX NICOLE
Les enfants d'Athéna

Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes

"Confronté à la découverte, pour lui insupportable, du désir féminin, Hippolyte n'a qu'un cri :

"O Zeus, pourquoi as-tu infligé aux humains ce frauduleux fléau, les femmes, en l'établissant à la lumière du soleil? Si tu voulais propager la race mortelle, ce n'est pas aux femmes qu'il fallait en demander le moyen" "

 

PATRICE LORAUX
Le tempo de la pensée

"- Un auteur : celui qui fait "pour nous" l'expérience de l'abrupt."

"- Ecartez tous les interprètes, vous serez en présence de l'auteur."

"- L'auteur ne compte pas et ne doit pas entrer en ligne de compte. Tout se joue pour lui dans l'art de savoir s'éclipser. Il lui faut donc apprendre à s'effacer, et c'est à ce prix seul qu'il peut révéler plus grand que lui."

"Tout mur emmure une fissure, tout mur est construit depuis la fissure qui le rend possible, mais la fissure indique le radicalement constructible. C'est cela qui relance la philosophie, elle qui aura souci de ce qui reste rebelle, nullement une discipline culturellement identifiable, mais une inquiétude face à un mur originairement lézardé, face à un texte trompeusement compact et sans lacune. Il indique à l'autre, au partenaire, l'exigence de l'attitude à inventer pour se tenir en regard de l'Intraitable, non pour le réduire ni même le contenir, mais le transformer en source de recommencement."

"L'oeuvre qui sait durer l'instance du seuil est la p,us belle, la plus dangereuse aussi."

"Créer n'a jamais été que l'ambition de rendre sensible ce qui, provenant du rien, ne cesse d'en manifester la nostalgie.
Rendre manifeste un échantillon du rien, voilà l'obsession."

 

FREDERIC LORDON
La condition anarchique

"Que valent nos valeurs ? Rien d’autre que les intensités passionnelles que nous y mettons nous-mêmes. Les valeurs ne nous happent pas par leur force intrinsèque : nous produisons nous-mêmes l’adhésion qui nous y fait tenir. Et la valeur de nos valeurs n’est que la force de croyance que nous y investissons par voie d’affects. Il s’ensuit plusieurs importantes conséquences."


Disons les choses d'emblée : la condition anarchique ici n'a rien à voir avec l'anarchisme qui intéresse la théorie politique. Lue étymologiquement, comme absence de fondement, an-arkhé, elle est le concept central d'une axiologie générale et critique. Générale parce qu'elle prend au sérieux qu'on parle de " valeur " à propos de choses aussi différentes que l'économie, la morale, l'esthétique, ou toutes les formes de grandeur, et qu'elle en cherche le principe commun. Critique parce qu'elle établit l'absence de valeur des valeurs, et pose alors la question de savoir comment tient une société qui ne tient à rien.


Aux deux questions, une même réponse : les affects collectifs. Ce sont les affects qui font la valeur dans tous les ordres de valeur. Ce sont les affects qui soutiennent la valeur là où il n'y a aucun ancrage. Dans la condition anarchique, la société n'a que ses propres passions pour s'aider à méconnaître qu'elle ne vit jamais que suspendue à elle-même.

 

FREDERIC LORDON
Imperium
Structures et affects des corps politiques

"La question était de savoir si l'émancipation est vouée à la reconstitution sans fin de ce dont elle cherche à émanciper les hommes. Posons la plus rudement encore : l'émancipation est-elle vouée à toujours échouer? Oui et non. Oui, car le jeu des passions rend nécessaire, et aux deux sens de la nécessité, qu'il se reconstitue des institutions - et, partant, du pouvoir. Non, car il y a une ligne d'espoir de l'émancipation, la ligne de modification tendue vers l'oméga du devenir-actif, qui est une ligne de pouvoirs décroissants et d'extinction asymptotique de la loi. Une ligne d'asymptote dont Beckett nous donne la maxime : essayer encore, rater encore, rater mieux."


FREDERIC LORDON
On achève bien les Grecs
Chroniques de l'euro 2015

"Conceptuellement parlant donc, la question de la souveraineté n'est pas la question nationale, ou alors sous une redéfinition - mais tautologique - de la nation, précisément comme la communauté souveraine. Tautologie très productive en fait puisqu'elle nous conduits, entre autres, à une redéfinition contributive de la nation. Qu'est-ce que la nation dans ces nouvelles coordonnées? C'est une collectivité régie, non par un principe d'appartenance substantielle, mais par un principe de participation — de participation à une forme de vie. Dans ces conditions, la souveraineté ne se définit pas par une identité collective pré-existante, mais par la position commune d'objectifs politiques. C'est cette affirmation de principes, qui est en soi affirmation d'une forme de vie, qui fait la communauté autour de soi, c'est-à-dire qui invite tous ceux qui s'y reconnaissent à la rejoindre - et à y contribuer : à y appartenir en y contribuant."


"Comment l'économicisme néolibéral qui est une gigantesque dénégation du politique ne pouvait-il pas engendrer sa génération d'hommes politiques ignorants de la politique? «Abandonnez ces sottises, regardez les ratios, ils ne sont ni de droite ni de gauche », on ne compte plus les décérébrés qui, répétant cet adage, auront cru s'affranchir de la politique, en faisant la pire des politiques : la politique qui s'ignore.
Et ceux-là auront été partout, pas seulement sous les lambris. Car c'est tout un bloc hégémonique qui aura communié dans la même éclipse. A commencer par ses intellectuels organiques, si vraiment on peut les appeler des intellectuels puisque, de même qu'il a fait dégénérer les hommes politiques, le néolibéralisme n'a produit que des formes dégénérées d'intellectuels : les experts. Et forcément : l'économicisme néolibéral ne pouvait se donner d'autres «intellectuels» que des économistes. Les dits think tanks auront été la fabrique de l'intellectuel devenu ingénieur-système. À la République des Idées c'était même un projet : en finir avec les pitres à chemise échancrée, désormais le sérieux des chiffres - la branche universitaire de la pensée des ratios.
Et derrière eux toute la cohorte des perruches -les journalistes. Fascinés par le pseudo-savoir économique auquel ils n'ont aucun accès de première main, ils ont gravement répété la nécessité de commandements économiques auxquels ils ne comprennent rien - de la même manière, on peut le parier, que, têtes vides, ils se la laisseront remplir par le nouvel air du temps et soutiendront exactement l'inverse dès que les vents auront tourné."


FREDERIC LORDON
L'intérêt souverain

"Aussi l'élan vers autrui reste-t-il pris dans cette permanente ambiguïté : déterminé, par des intérêts dont il ignore le fond, à reproduire par le don des relations génératrices d'affects joyeux, le sujet donateur se donne une représentation de ses actes au voisinage de ses affects et non en prise sur leurs causes, condamné dès lors à ce que les plaisirs éprouvés en première personne, et dont sa conscience lui porte à coup sûr témoignage, fassent inévitablement passer l'ombre d'un doute sur l'idée de sa propre générosité."

"Si la solution des simulacres s'impose, c'est que nul n'a le pouvoir d'ôter au conatus* ce réflexe essentiel de la préoccupation de soi, ni de le faire être autre qu'il n'est, en particulier pas un être-pour-autrui, lui le grand ingesteur, tout à son projet de métaboliser le monde. Le conatus, cet amibien, cette vocation à la phagocytose. Aussi le mieux qu'il soit possible d'espérer est probablement à trouver dans ce travail que le groupe fait sur lui-même et sur la collection de ses membres, chacun sommé, sinon d'extirper, du moins de rééduquer en soi le pronateur invétéré."

*conatus: "effort que chaque chose déploie pour persévere dans son être" (Spinoza)


FREDERIC LORDON
Capitalisme,
désir et servitude

Marx et Spinoza

"...la grande entreprise est un feuilletage hiérarchique structurant la servitude passionnelle de la multitude salariale selon un gradient de dépendance. Chacun veut, et ce qu'il veut est conditionné par l'aval de son supérieur, lui-même s'efforçant en vue de son propre vouloir auquel il subordonne son subordonné, chaîne montante de dépendance à laquelle correspond une chaîne descendante d'instrumentalisation."


"Il n'est que de voir l'habileté (élémentaire) du discours de défense de l'ordre établi à dissocier les figures du consommateur et du salarié pour induire les individus à s'identifier à la première exclusivement, et faire retomber la seconde dans l'ordre des considérations accessoires. Tout est fait pour prendre les agents «par les affects joyeux» de la consommation en justifiant toutes les transformations contemporaines - de l'allongement de la durée du travail (« qui permet aux magasins d'ouvrir le dimanche») jusqu'aux déréglementations concurrentielles («qui font baisser les prix») - par adresse au seul consommateur en eux. La construction européenne a porté cette stratégie à son plus haut point de perfection en réalisant l'éviction quasi complète du droit social par le droit de la concurrence, conçu et affirmé comme le plus grand service susceptible d'être rendu aux individus, en fait comme la seule façon de servir véritablement leur bien-être - mais sous leur identité sociale de consommateurs seulement."

" La réservation d'une part de revenu pour le capital n'était-elle pas originellement justifiée par le partage du risque, les salariés abandonnant une part de la valeur ajoutée contre une rémunération fixe, donc soustraite aux aléas de marché ? Or le désir du capital est maintenant doté par le nouvel état des structures de suffisamment de latitude stratégique pour ne plus même vouloir supporter le poids de la cyclicité et en reporter l'ajustement sur le salariat qui en était pourtant constitutivement exonéré. Contre toute logique, c'est à la masse salariale qu'il incombe désormais d'accommoder les fluctuations de l'activité, ce qui reste de marge de négociation n'étant plus consacré qu'à établir le partage de cet ajustement entre ralentissement des salaires, intensification de l'effort et réduction des effectifs."

"Et voilà son ajout stratégique : l'aiguillon de la faim était un affect salarial intrinsèque, mais c'était un affect triste ; la joie consumériste est bien un affect joyeux, mais il est extrinsèque ; l'épithumogénie néolibérale entreprend alors de produire des affects joyeux intrinsèques. C'est-à-dire intransitifs et non pas rendus à des objets extérieurs à l'activité du travail salarié (comme les biens de consommation). C'est donc l'activité elle-même qu'il faut reconstruire objectivement et imaginairement comme source de joie immédiate. Le désir de l'engagement salarial ne doit plus être seulement le désir médiat des biens que le salaire permettra par ailleurs d'acquérir, mais le désir intrinsèque de l'activité pour elle-même. Aussi l'épithumogénie néolibérale se donne-t-elle pour tâche spécifique de produire à grande échelle des désirs qui n'existaient pas jusqu'alors, ou bien seulement dans des enclaves minoritaires du capitalisme, désirs du travail heureux ou, pour emprunter directement à son propre lexique, désirs de «l'épanouissement» et de la «réalisation de soi» dans et par le travail. Et le fait est qu'elle voit juste ce faisant, au moins instrumentalement. Intrinsèques tristes ou extrinsèques joyeux, les désirs-affects que proposait le capital à ses enrôlés n'étaient pas suffisants à désarmer l'idée que «la vraie vie est ailleurs».... Mais s'il peut désormais les convaincre de la promesse que la vie salariale et la vie tout court de plus en plus se confondent, que la première donne à la seconde ses meilleures occasions de joie, quel supplément de mobilisation ne peut-il escompter? " Si de réticents qu'étaient les salariés, "ils deviennent "consentants", alors ils seront autrement mus."

"À part l'indication d'une certaine situation stratégique, le délire de l'illimité est donc surtout le germe d'une nouvelle forme politique à laquelle on peut bien donner le nom de totalitarisme, évidemment non plus au sens classique du terme, mais en tant qu'il est une visée de subordination totale, plus précisément d'investissement total des salariés, et ceci au double sens où il est non seulement demandé aux subordonnés, selon la formule commune, de «s'investir totalement», mais aussi où les subordonnés sont totalement investis - envahis - par l'entreprise. Plus encore que les dérives de l'appropriation quantitative, ce sont les extrémités de l'empire revendiqué sur les individus qui signent le mieux ce projet de l'enrôlement total. Se subordonner la vie et l'être entiers du salarié comme y prétend l'entreprise néolibérale, c'est-à-dire refaire au service de ses fins propres les dispositions, les désirs, les manières de l'enrôlé, bref refaçonner sa singularité pour que désormais jouent «spontanément» en son sens à elle toutes ses inclinations à lui, est le projet délirant d'une possession intégrale des individus, au sens quasi chamanique du terme. Totalitarisme est donc un nom possible pour une visée de prise de contrôle si profonde, si complète qu'elle ne veut plus se satisfaire d'asservir en extériorité - obtenir les actions voulues - mais revendique la soumission entière de l'«intériorité».("...Subordonnés totalement investis - envahis..." FL utilise aussi le terme de "capturé", "colonisé"et parle du"rechapage des individus et leur transformation en robots affectifs")


LUCRECE
DE LA NATURE. Livre I

"Ce qui paraît mourir ne meurt donc jamais tout à fait
car la nature reforme toute chose par une autre
et ne laisse rien naître qu'au dépens de la mort d'autrui.(...)
Rien donc ne retourne au néant, mais toute chose
se désagrège et rejoint les éléments de la matière."

 

MARIELLE MACÉ
La page Marielle Macé sur Lieux-dits

JORGE MAJFUD
L'audace de la critique

Traduction de l'espagnol (Uruguay) de Pierre Trottier, Fausto Guidice, Estelle et Carlos Debiasi

"J’ai toujours pensé que le phénomène des communications, avait mis en relief, à un niveau critique, une obsession historique ou naturelle de l’humanité pour la communication. Quelque chose de pareil à l’impulsion des insectes dans la nuit, qui tournent autour du feu et vont mourir en se brûlant eux mêmes. Enfin, les gens parlent et écrivent, en grande partie, non parce qu’ils ont quelque chose d’important ou de crucial, à dire, mais pour le seul fait, le plaisir ou la nécessité de se sentir en contact, du romancier au médecin ou au mécanicien.
Tout ceci semblerait être quelque chose de très humain : la communion serait le climax de cette impulsion de communication.
[...] Dans ce monde, l’autre s’est multiplié de façon exponentielle et la communion a été proportionnellement diluée avec n’importe qui. L’autre est moins sujet et plus objet, depuis le moment où je peux, comme individu, décider quand l’éliminer. C’est-à-dire à chaque instant je suis protégé par la conscience ou la perception que l’autre ne menacera pas mon espace individuel par une visite inconfortable dont je ne peux pas me défaire. Ainsi, l’autre est sous contrôle. Les jeunes hommes et le vieux étaient là, communiquant avec quelqu’un d’autre, avec beaucoup d’autres, mais leur espace vital, leur individualité étaient protégés par un simple bouton (qui n’est même pas un bouton) capable d’éliminer la présence de l’autre, capable de le mettre entre parenthèse ou de le renvoyer à un temps ultérieur, un temps du calendrier qui dépend de l’individu - isolé-qui-se-communique."

"L’Amérique latine fut un haut lieu de la pensée critique et de la science sociale “pratique” au moins jusqu’aux années 1980. Ensuite, les dictatures militaires et les revers de la démocratie, le remplacement des traditions européennes par l’académie étasunienne ainsi que le rôle déterminant des organismes multilatéraux dans la production du savoir face à l’appauvrissement progressif des universités ont dépouillé la pensée d’une quelconque prétention critique ou – pis encore – de sa prétention à changer le monde."Constanza Moreira


"Si nous visitions aujourd’hui la page de notre chère Université de la République de l’ Uruguay, nous lirons une attitude typique de notre histoire qui s’exprime par des euphémismes : “La population de l’Uruguay est d’origine européenne, surtout espagnole et italienne, sans le préjudice d’autres nationalités, produit d’une immigration à portes ouvertes. Il existe également une présence réduite de la race noire qui est arrivée au pays en provenance des côtes africaines, durant la période de domination espagnole. Quant à la population indigène, il y a plus d’un siècle que les derniers indiens ont disparu de tout le territoire national, ce qui différencie la population de l’Uruguay de celle des autres pays Hispano-américains ...”
La population indigène n’a pas “disparu”; (1) ils ont usurpé leurs terres et ils ont assassinés tous ceux qu’ils ont pu, au nom de la civilisation et (2) n’ont pas disparu comme nous voulons le croire, ils sont là, mélangé d’une certaine manière dans notre sang et niés par notre culture, comme l’étaient les arabes et les juifs niés par l’Espagne impériale, qui a ainsi organisé sa propre décadence.
Bien qu’on ne nous l’a jamais dit à l’école, et qu’on ne le mentionne pas dans la culture publique, le soleil sur notre drapeau, comme celui sur le drapeau argentin, n’est rien d’autre que l’ Inti, le soleil des incas, dans son dessin et dans son origine, sans parler en détail de notre espagnol qui est plein de structures et de mots quechuas, guaranís etc.
Pour sa part, la population noire n’est pas “arrivée” en tourisme sur ce continent, sinon par le biais de la violence de l’enlèvement, par la violence physique et morale. La violence physique est terminée, mais la violence morale continue et nous devrions ajouter, la “violence culturelle”. Plus grave encore, si la violence physique cicatrise souvent rapidement; ce n’est pas aussi facile en ce qui concerne la violence morale comme le démontre la psychologie et l’histoire des peuples. "

"D’accord : Les trois cent ans d’une colonisation monopolistique, rétrograde et fréquemment brutale ont pesé lourd sur le continent latino-américain, ce qui a consolidé dans l’esprit de nos peuples une psychologie réfractaire à toute légitimation sociale et politique (Alberto Montaner a appelé à cette caractéristique culturelle “la légitimité suspecte originale du pouvoir”). "

"Ils se trompent, d’un autre côté, ceux qui croient que ces horreurs ne vont pas se répéter à l’avenir. Cela a été cru par l’humanité depuis des temps antérieurs aux Césars. Depuis ces temps l’impunité ne les pas empêchées: elle les a promues, complice d’une lâcheté ou de la complaisance d’un présent apparemment stable et d’une morale apparemment confortable. "


HENRI MALDINEY
Art et existence

Esthétique de l'abstraction

....besoin qui se manifeste comme l'essence profonde et dernière de toute vie esthétique : le besoin de se dessaisir de soi...

Ce qui domine chez les peuples de haute culture de l'Antiquité, conscients, plus encore que les peuples primitifs, de la confusion et du jeu changeant des phénomènes et chez qui le malaise de l'irrationnel et du contingent ne précède pas mais suit au contraire la connaissance, c'est, dit A. Riegl, un immense besoin de repos. Ils aspirent à échapper au flux de la vie universelle qui s'entretient de la mort des vivants. Le bonheur qu'ils éprouvent à l'œuvre d'art et qu'ils exigent d'elle ne consiste pas à «s'immerger dans les choses du monde extérieur pour jouir d'eux-mêmes en elles mais à arracher la chose individuelle de ce monde à son arbitraire et à sa contingence apparente, à l'éterniser en la rapprochant des formes abstraites et à trouver de cette manière un point de repos dans la fuite des phénomènes».


HENRI MALDINEY
L'ART, L'ECLAIR DE L'ETRE

Chute d'eau, arête de montagne, branche d'arbre ou fumée, toutes en voie d'elles-mêmes: la genèse d'une forme est un événement qui se transforme en lui-même. Cette transformation plénière, cette mutation de soi à soi suppose le vide. Et le vide est la «ressource» de la forme en formation. Son rythme fondateur comporte des moments critiques, où, menacés de s'anéantir dans la faille, elle est mise en demeure ou de disparaître ou d'exister à l'avant de soi.

AMIN MAALOUF
Le naufrage des civilisations

"Je garderai toujours en mémoire ce qui s’est passé en septembre 1982, au lendemain des massacres perpétrés dans les quartiers de Sabra et de Chatila, près de Beyrouth. Des miliciens libanais, appartenant à une faction chrétienne, s’étaient acharnés sur des civils palestiniens avec la complicité active de l’armée israélienne. Il y avait eu, selon certaines estimations, plus de deux mille morts.
Le monde entier était indigné, les Occidentaux autant que les Arabes, mais c’est dans les rues de Tel-Aviv qu’il y avait eu la protestation la plus massive et la plus significative. On a parlé de quatre cent mille manifestants, plus d’un Israélien sur huit.
Même ceux qui étaient outrés par le comportement des autorités et des troupes ne pouvaient qu’admirer l’attitude de la population juive. Protester contre le tort qui est fait à soi-même et aux siens est légitime et nécessaire, mais ne dénote pas forcément une grande élévation morale ; protester avec virulence contre le tort que les siens ont fait aux autres révèle, en revanche, une grande noblesse, et une remarquable conscience morale. Je ne connais pas beaucoup de peuples qui auraient réagi ainsi.
Hélas, une mobilisation massive pour une telle cause est aujourd’hui inconcevable en Israël. Ce qui représente, sur le plan éthique, une indéniable perte d’altitude. "

« On a dit, au crépuscule du XXe siècle, que le monde serait désormais marqué par un « affrontement entre les civilisations », et notamment entre les religions. Pour désolante qu’elle soit, cette prédiction n’a pas été démentie par les faits. Là où on s’est lourdement trompé, c’est en supposant que ce « clash » entre les différentes aires culturelles renforcerait la cohésion au sein de chacune d’elles. Or, c’est l’inverse qui s’est produit. Ce qui caractérise l’humanité d’aujourd’hui, ce n’est pas une tendance à se regrouper au sein de très vastes ensembles, mais une propension au morcellement, au fractionnement, souvent dans la violence et l’acrimonie."

 



"D’où l’immense frustration que j’éprouve aujourd’hui quand je médite sur le destin de mon continent d’adoption. Bien sûr, l’Union s’est construite, elle s’est étendue, et elle représente un immense progrès par rapport à l’époque antérieure. Mais c’est un édifice fragile, inachevé, hybride, et qui se retrouve à présent violemment ébranlé.
Je dis « hybride », parce que les pères fondateurs n’ont pas su choisir entre les deux voies qui s’offraient à eux : celle d’une véritable union, pleine et irréversible, à l’instar de celle des États-Unis d’Amérique ; ou celle d’une simple zone de libre-échange. Ils ont voulu croire que cette décision pourrait être prise plus tard. Mais elle ne le pouvait pas. Ce sur quoi on aurait pu s’entendre à six ou à neuf, on ne peut le décider à vingt-sept ou vingt-huit. Pas si l’on doit le faire à l’unanimité, comme c’est le cas aujourd’hui pour toutes les décisions fondatrices.
À vrai dire, on a fait preuve à la fois d’un excès de démocratie, en accordant à chaque État un droit de veto, ce qui interdisait toute avancée audacieuse en direction d’une véritable union ; et d’un déficit de démocratie, en choisissant de confier le pouvoir à Bruxelles à des commissaires nommés par les États, plutôt qu’à un gouvernement européen directement élu par les citoyens de l’Union.
Des peuples ayant une longue pratique de la démocratie ne peuvent se reconnaître dans des dirigeants qui n’ont pas reçu l’onction d’un vote populaire. "

STEPHANE MANCUSO
L'intelligence des plantes

Phytobiologiste, Stefano Mancuso compte aujourd’hui parmi les scientifiques les plus remarquables dans le domaine des recherches assez récentes, et encore quelque peu controversées, sur l’« intelligence végétale ». De nombreux spécialistes du monde végétal ont beau qualifier cette expression de tendancieuse ou d’excessive, dès que l’on définit l’intelligence, en termes très simples, comme la faculté de résoudre les problèmes posés par la vie, il devient impossible de la dénier aux plantes.

"Chaque année, des milliers d’espèces dont nous ne savons rien disparaissent et, avec elles, on ne sait quelles ressources. Si nous prenons davantage conscience que les plantes sont dotées de sens, de capacités de communication, de mémorisation, d’apprentissage et de résolution de problèmes, nous en viendrons peut-être un jour à les juger plus proches de nous, et nous aurons ainsi l’occasion de les étudier et de les protéger avec une efficacité accrue. "

BERNARD MANDEVILLE (1670-1733)
Recherche sur la nature de la société

"Nous nous apercevons facilement qu'aucune société n'aurait pu jaillir des vertus aimables et des qualités aimantes de l'homme, mais qu'au contraire toutes les sociétés ont nécessairement eu leur originedans ses besoins, ses imperfections et ses divers appétits. Nous verrons également que plus l'orgueil et la vanité s'y déploient et plus les désirs s'y étendent, plus les hommes sont nécessairement capables de s'élever à l'état de grandes et très populeuses sociétés."

NASTASSJA MARTIN
croire aux fauves

"Car je fus, pendant un temps, garçon et fille, arbre et oiseau, et poisson perdu dans la mer." Empédocle, De la nature, fragments.

"Ce jour-là, le 25 août 2015, l’événement n’est pas : un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchatka. L’événement est : un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent. Non seulement les limites physiques entre un humain et une bête, qui en se confrontant ouvrent des failles sur leur corps et dans leur tête. C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné."

  OSCAR MARTINEZ
Les morts et le journaliste

Traduction de l’espagnol (Salvador) de René Solis

"Tellement de journalistes l’ont dit. Notre travail ne consiste pas à être à l’endroit indiqué à l’heure indiquée. Ça, c’est le boulot des livreurs de pizzas ou des trains. Notre travail ne se limite pas à dire des choses. Notre travail implique d’autres verbes : comprendre, douter, raconter, expliquer, dévoiler, révéler, affirmer, questionner. Aucun de ces verbes ne saurait se contenter de ce qui sort de la bouche d’un policier après un “affrontement”. Mais tellement de gens semblent l’accepter comme une chose tellement normale."

 " J’aimerais faire du journalisme qui change des choses. Mais personne n’est en prison à cause de ce qui est arrivé à Rudi et ses frères, ni pour ce qui est arrivé au fils de Consuelo, et presque tous les politiques sur lesquels j’ai révélé des affaires de corruption ou des pactes avec des pandillas sont toujours en place, ou ont trouvé asile dans le pays d’un petit dictateur quelconque. Il est clair pour moi qu’une enquête journalistique a beau être intelligente, multiplier les preuves et soigner son style pour les présenter, il n’y a aucune certitude que quelque chose de ce que j’ai mentionné change. Et pourtant, pour résumer, j’aimerais bien faire chier des gens et en rendre visibles d’autres.
Et donc cela fait plusieurs années que j’ai décidé d’arrêter de me torturer avec ce que je veux pour me poser la question de ce que je peux. Le problème étant que là non plus je n’ai pas trouvé la réponse idéale. J’ai beaucoup aimé ce qu’a dit Hersh à San Salvador : “Nous pouvons faire un bien énorme si nous ne lâchons pas l’histoire. Tu ne peux pas les obliger (les dirigeants politiques) à ce qu’ils fassent les choses correctement, mais tu peux faire en sorte qu’il soit très compliqué pour eux de faire les choses incorrectement.” La formule m’a enthousiasmé. Si on ne peut pas changer les choses en totalité, tu peux au moins rendre difficile qu’elles suivent leur cours, et finir par parvenir à ce que peut-être elles changent un peu. "

 

MICHELA MARZANO
La page Michela Marzano sur lieux-dits

 

 

FRANCESCO MASCI
L'Ordre règne à Berlin

"La grande apostasie culturelle a voulu tour à tour oublier, effacer et puis transformer le réel mais n'a su qu'offrir au sujet le loisir d'une liberté imaginaire et moralement déterminée. Aujourd’hui, pour la première fois, à l'échelle d'une ville entière, la promesse faite par la culture absolue de régler ses comptes avec le réel a été assouvie. La contingence des événements remplace alors la nécessité politique du 'lieu', l'ordre du nomos. À Berlin ce n'est plus seulement l'individu, mais une ville entière qui s'est égarée dans un domaine surinvesti par le narratif, laissant l'Histoire succomber à la quiétude infinie de la culture. Après avoir hanté les villes d'Occident, en se contentant de jouir de sa liberté fictive dans les interstices d'un réel duquel il avait, de toute manière, disparu comme unité significative, l'individu semble avoir trouvé sa cité idéale. Seulement, la ville où il a élu sa demeure n'existe plus."


Berlin est une ville entrée en apesanteur. Elle n'est plus aujourd'hui que le pôle sentimental d'un pèlerinage culturel alimenté par un folklore de la révolte et de la création. Jadis au cœur même de la guerre civile européenne qui a traversé la première partie du XXe siècle et qui y a laissé ses plus profondes blessures, Berlin est devenue l'avant-poste d'une capitulation généralisée à la fiction de l'individu autonome comme "forme abstraite toute prête", structure qui pourrait endosser tous les contenus. La subjectivité fictive a trouvé là l'environnement idéal aux épanchements festifs de son ego hypertrophié. C'est ici que la culture absolue, avec sa production d'événements interchangeables, a fini par se substituer entièrement à la densité politique du territoire, à ses contradictions, à ses oppositions latentes.


 La culture absolue est un flux ininterrompu d'images et événements, dans lequel les différences entre morale et économie, public et privé, responsa­bilité et jouissance sont entièrement effacées. Elle garde sur le monde de la technique qui lui sert d'environnement la supériorité que lui confère sa plasticité. La culture est totali­sante, autoréflexive et ne saurait connaître de ratés. La cadence de son régime de production est tout ce qui compte, les matériaux qui le nourrissent lui sont indifférents.


FRANCESCO MASCI
entertainment!

"Ici, la liberté a pris la place de la contrainte physique, mais cette liberté est payée au prix d'une totale inconsistance du monde vécu."

"Le pouvoir perd sa relation verticale avec ses sujets, et commence à se diffuser de manière horizontale, d'évènement en évènement. Au lieu d'intervenir sur un monde rigidement divisé, il porte la division en soi."

"De la promesse et du culte de la nouveauté de la culture à la pure attente et au principe d'indifférence de l'entertainment, le passage du temps continue à laisser, comme le veut une vieille chanson, des vies vides qui attendent d'être remplies. C'est de cette attente même qu'elles se remplissent désormais."

entertainment: anglais, de l'ancien français entretenement , de s'entretenir avec soi.
amusement, distraction, détente, spectacle amusant.


FRANCESCO MASCI
Superstitions

la culture façonne, par toutes ses expressions, une pratique de l'obéissance. Je l'identifie à la superstition, cette invention résolument moderne, qui doit être comprise comme une abêtissante contrainte interne à croire que quelque chose doit être vrai. Ce sont donc des actes de croyance qui la constituent. La culture ne se manifeste jamais sous forme d'objets mais d'événements. Mais qu'est-ce que l'événement ? L'événement n'est rien, sinon une excroissance rhétorique du temps, l'occasion de jouir, comme d'un bien consommable, des possibles pris dans le présent. Dans l'événement, la menace de l'inattendu que contient le futur est réduite à néant. Et ce néant se reproduit à une vitesse extraordinaire, parce que la superstition, qui a besoin de toujours se manifester, ne manque jamais de forme.

VALERIE MASSON-DELMOTTE, CHRISTOPHE CASSOU
Parlons climat en 30 questions

" Le système climatique est constitué de l’atmosphère (couche gazeuse enveloppant la Terre), la lithosphère (sol, croûte terrestre), l’hydrosphère (mers et océans, rivières, nappes et réservoirs profonds), la cryosphère (banquise, neige, glaciers continentaux, calottes polaires, lacs et rivières gelés, sols gelés ou pergélisol*) et la biosphère (organismes vivants). Ces milieux échangent en permanence, mais de manière variable et sous différentes formes, de l’énergie, de l’eau, des substances minérales et organiques (ex. : le carbone).
Les masses d’air se mélangent à l’échelle planétaire en quelques mois. L’océan de surface interagit avec l’atmosphère à toutes les échelles de temps (du jour à plusieurs décennies). Les courants marins dus à la rotation de la Terre, à la forme géographique des bassins océaniques, aux vents, mais aussi à la densité de l’eau de mer qui dépend de sa température et salinité, assurent en plusieurs centaines d’années les échanges entre les deux hémisphères, et entre la surface et les eaux profondes. La cryosphère et la lithosphère peuvent stocker de l’eau et du carbone pendant des milliers à des millions d’années. L’ensemble est modulé par les perturbations du bilan énergétique de la planète, que certains processus physiques (dits de rétroaction) peuvent amplifier ou stabiliser. "



"Environ 2 400 milliards de tonnes (Gt) de CO2 ont été émises par les activités humaines depuis 1850, dont environ le tiers sur les 20 dernières années (2000-2019). Pour la seule année 2019, on relève ~ 40 Gt provenant à 89 % de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), le reste (11 %) étant lié à l’effet net des changements d’usages des terres (en particulier la déforestation). Les émissions de CO2 ont baissé temporairement (~ 5,5 %) en 2020 du fait de la pandémie de covid-19 (ralentissement industriel, baisse des transports) mais ont déjà rebondi de 5 % en 2021. "

MAURICE MERLEAU-PONTY
La structure du comportement

"Le sens du travail humain est donc le reconnaissance, au-delà du milieu actuel, d'un monde de choses visible pour chaque Je sous une pluralité d'aspects, la prise de possession d'un espace et d'un temps indéfinis, et l'on montrerait aisément que la signification de la parole ou celle du suicide et de l'acte de révolution est la même. Ces actes de la dialectique humaine révèlent tous de la même essence : la capacité de s'orienter par rapport au possible, au médiat, et non par rapport à un milieu limité."

JEAN-CLAUDE MICHÉA
Le loup dans la bergerie

"Au rythme où progresse le brave new world libéral synthèse programmée de Brazil, de Mad Max et de l'esprit calculateur des Thénardier , si aucun mouvement populaire autonome, capable d'agir collectivement à l'échelle mondiale, ne se dessine rapidement à l'horizon (j'entends ici par «autonome» un mouvement qui ne serait plus soumis à l'hégémonie idéologique et électorale de ces mouvements «progressistes» qui ne défendent plus que les seuls intérêts culturels des nouvelles classes moyennes des grandes métropoles du globe, autrement dit, ceux d un peu moins de 15 % de l humanité), alors le jour n'est malheureusement plus très éloigné où il ne restera presque rien à protéger des griffes du loup dans la vieille bergerie humaine. Mais n'est-ce pas, au fond, ce que Marx lui-même soulignait déjà dans le célèbre chapitre du Capital consacré à la «journée de travail» ? «Dans sa pulsion aveugle et démesurée, écrivait-il ainsi, dans sa fringale de surtravail digne d'un loup-garou, le Capital ne doit pas seulement transgresser toutes les limites morales, mais également les limites naturelles les plus extrêmes.» Les intellectuels de gauche n'ont désormais plus aucune excuse."


JEAN-CLAUDE MICHEA
Le Complexe d'Orphée
La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès

"On songe à Orwell écrivant que « rejeter le socialisme sous prétexte qu'il compte en son sein tant de piètres personnages est aussi inepte que de refuser de prendre le train parce que le contrôleur a une tête qui ne vous revient pas » (Le Quai de Wigan).


Semblable au pauvre Orphée, le nouvel Adam libéral est condamné à gravir le sentier escarpé du «Progrès» sans jamais pouvoir s'autoriser le moindre regard en arrière. Voudrait-il enfreindre ce tabou - «c'était mieux avant» - qu'il se venait automatiquement relégué au rang de beauf ; d'extrémiste, de réactionnaire, tant les valeurs des gens ordinaires sont condamnées à n'être plus que l'expression d'un impardonnable «populisme». C'est que gauche et droite ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l'homme un égoïste par nature. La première tient tout jugement moral pour une discrimination potentielle, la seconde pour l'expression d'une préférence strictement privée. Fort de cette impossible limite, le capitalisme prospère, faisant spectacle des critiques censées le remettre en cause. Comment s'est opérée cette double césure morale et politique ? Comment la gauche a-t-elle abandonné l'ambition d'une société décente qui était celle des premiers socialistes ? En un mot, comment le loup libéral est-il entré dans la bergerie socialiste ?

ANDRE MICOUD
Des Hauts-Lieux
La construction sociale de l'exemplarité

De façon immémoriale, mais pour des raisons qui restent encore bien énigmatiques, les hommes attachent à certains lieux des effets quasi magiques. D'autres - qui croient que les effets sont toujours à rapporter à des causes physiques - mettent en avant des raisons d'ordre tellurique. Dans cet ouvrage, les auteurs se posent d'autres questions. Que figurent de tels lieux ? Que s'y donne-t-il à voir, à parcourir, à toucher : un événement à commémorer, un exemple à suivre, un futur à espérer ? Autour de tels lieux, toujours construits socialement, les hommes célèbrent des affinités.
Au moment où les changements sociaux affectent toutes les représentations, toutes les certitudes et toutes les identités, certains lieux, comme des emblèmes, servent à rassembler des croyants.
Il se pourrait bien que de telles vertus n'aient pas échappé à ces techniciens du "faire-croire" dont la fonction est aujourd'hui de construire de nouveaux "corps sociaux". De ces "lieux pour l'exemple" - zones expérimentales, réalisations exemplaires, circonscriptions exceptionnelles..., - que les gestionnaires multiplient à l'envie, il est attendu qu'ils produisent de l'adhésion. Là où, avec l'adhésion, la fascination se profile, il importe que la critique ne fasse pas défaut.

 

PANKAJ MISHRA
L'Age de la colère
Une histoire du présent

"Rousseau soutenait que les êtres humains ne vivent ni pour eux-mêmes ni pour leur pays dans une société commerçante où la valeur sociale se calque sur la valeur monétaire ; ils vivent pour la satisfaction de leur vanité, ou amour-propre : le désir de s’assurer la reconnaissance des autres, d’être estimés d’eux autant que de soi-même."

 "La guerre endémique et la persécution ont fait de soixante millions de personnes des sans-abri, un chiffre encore jamais atteint. Une misère sans fin pousse de nombreux Sud-Américains, Asiatiques et Africains désespérés à entreprendre un voyage risqué vers ce qu’ils imaginent être le centre de la modernité triomphante. Et pourtant, de plus en plus d’individus et de groupes – des Afro-Américains des villes américaines, Palestiniens des territoires occupés, musulmans en Inde et au Myanmar, jusqu’aux réfugiés africains et moyen-orientaux des camps européens et demandeurs d’asile emprisonnés sur des îles reculées du Pacifique – sont considérés aujourd’hui comme superflus. Confinés de force dans des zones d’abandon, de rétension, de surveillance et d’incarcération, cette classe d’exclus remplit la fonction inestimable de « l’autre » redouté dans les sociétés inégalitaires. Ils sont à la fois les boucs émissaires des angoisses de classe et de race de nombreux individus précaires et la raison d’être d’une industrie croissante de la violence. En général, on assiste à une progression exponentielle de la haine tribaliste envers les minorités – pathologie principale de cette quête de boucs émissaires propagée par les chocs politiques et économiques – alors même que le maillage de la mondialisation ne cesse de se resserrer. Que ce soit dans les diatribes d’hommes blancs en colère ou les édits vengeurs des chauvinistes musulmans, hindous, bouddhistes et juifs, on se heurte à un machisme implacable qui ne cherche ni à apaiser ni à comprendre, encore moins à compatir au sort désespéré des populations les plus faibles. Celles-ci doivent aujourd’hui se soumettre, sous peine de mort, d’expulsion et d’ostracisme, aux idéaux fondamentaux de la tribu dictés par l’histoire de sa religion et de son territoire."

"Comme aujourd’hui, l’impression humiliante d’être soumis à une élite arrogante et perfide était largement répandue, sans considération de nationalité, de religion ou de race."

"Une panique latente couve, qui ne ressemble pas à la peur centralisée qu’inspire le pouvoir despotique. C’est plutôt le sentiment, engendré par les médias d’information et amplifié par les réseaux sociaux, que tout peut arriver à n’importe qui, n’importe où et à tout moment. L’impression que tout s’accélère et échappe à notre contrôle est aggravée par la réalité du dérèglement climatique qui nous renvoie l’image d’une planète assiégée par nous-mêmes."


Note de l'éditeur (Zulma): " L’âge de la colère, c’est une guerre civile mondiale caractérisée par deux traits majeurs : l’individualisme et le mimétisme appropriatif. Brexit, élection de Donald Trump, extrême droite omniprésente en Europe, nationalismes en Inde, en Turquie ou en Russie, terroristes islamistes, tueurs de masse… Les exemples ne manquent pas. Et les individus révoltés du XXIe siècle sont innombrables – un phénomène amplifié par les réseaux sociaux, les crises migratoires et une instabilité économique globale. Pour Pankaj Mishra, ces bouleversements ne sont pas le résultat de situations propres à chaque pays, encore moins d’un choc des civilisations. Il s’agit au contraire d’un mécanisme inhérent au modèle politique occidental accouché des Lumières – démocratie libérale et économie de marché – qui, depuis la chute du mur de Berlin, s’applique de manière brutale à des milliards d’individus. "

 

MARIE JOSÉ MONDZAIN
La page Marie José Mondzain sur Lieux-dits

 

EDGAR MORIN
La page Edgar Morin sur Lieux-dits



 

BAPTISTE MORIZOT
La page Baptiste Morizot sur Lieux-dits

LEWIS MUMFORD
La cité à travers l'histoire

Au dernier stade de son développement, la métropole est devenue le ressort essentiel qui assure le fonctionnement de cet absurde système. Elle procure à ses victimes l'illusion du pouvoir, de la richesse, du bonheur, l'illusion d'atteindre au plus haut point de la perfection humaine. En fait leur vie est sans cesse menacée, leur opulence est éphémère et insipide, leurs loisirs sont désespérément monotones, et leur bonheur pathétique est entaché par la peur, constante et justifiée, de la violence et d'une mort brutale. Ils se sentent de plus en plus étrangers et menacés par ce monde qu'ils n'ont pas construit, un monde qui échappe progressivement au contrôle des hommes, et qui, pour eux, a de moins en moins de sens.